ECO-POIËSIS > Critique de la
longévité pure !

08.11.2024

12 minutes

Critique de la
longévité pure !

Critique de la longévité pure

Critique de la
longévité pure !

  • Emotion Care
  • Innovation sensible
  • Le beau et le bon
  • La raison veut que l’on se méfie des évidences. Alors je vous propose d’initier une critique d’un indiscuté de la beauté, la longévité! Mais direz vous, pourquoi diable interroger le nécessairement fabuleux projet qui vise à ajouter de la beauté aux années ? Pire, pourquoi questionner la promesse d’une plus grande santé ? Et bien justement parce que tout ça paraît un peu trop programmatique. Ça donne envie de gratter sous la surface. Et puis, au moment où chaque marque revendique l’iconique, il y a comme une envie d’une pensée un brin iconoclaste.  Un peu d’air !

    Petit préambule n° 1. La critique ne nous sert que dans la mesure où elle permet de former un projet neuf. Alors, à celles et ceux qui n’ont pas besoin du décryptage et souhaitent savoir à quoi je veux en venir, je donne rendez-vous à l’avant-dernier paragraphe. Pour les autres que la question interpelle, il suffit de vous laisser guider.

    Petit préambule n° 2. Le texte ci-après ne prétend pas être exhaustif ou relever du raisonnement sans faille. Il suit le fil de l’écriture. Procède par touches. Par collages. Relève des indices. Et tente de trouver une piste alternative. Repenser la jeunesse et la beauté en cosmétique. La santé peut-être aussi. Investir ce qui serait le propre du cosmétique. Rien que ça.

    De quoi la longévité est-elle le nom ?

    La longévité donc. Un texte de Dior dit l’ambition du projet : « ajouter de la beauté aux années ». Estée Lauder le précise : « La longévité de la peau est l’idée selon laquelle cette dernière a naturellement le pouvoir de paraître et se comporter comme une peau plus jeune que son âge biologique. Elle sait comment maintenir une performance optimale plus longtemps. » En anglais, les choses sont dites un peu différemment.  « Skin longevity is the idea that skin naturally has the power to look and feel younger, and to maintain its peak performance longer than was traditionally thought possible. » On y lit l’idée d’un pic de performance – qui se situerait donc dans le temps de la jeunesse et qu’il serait possible de maintenir plus longtemps. Bien. Mais de quelle façon ? Je veux dire concrètement qu’est ce qui est proposé ? Quel est le discours ? Quels sont les produits ? Chez Dior, il y a la collection « Or de Vie, chef-d’œuvre de longévité ». « Un rituel de soin né d’un lieu qui défie les lois du temps. Des ingrédients aux pouvoirs extraordinaires. Une technologie exclusive : la Golden Drop Longevity Technology ». Ce qui m’intéresse déjà, c’est l’hybridation des registres de langage entre science, art et quelque chose de l’ordre de la magie. Estée Lauder est plus concret : « les sirtuines sont la clé pour stimuler cette activité de jeunesse. » Ici, ce n’est pas la jeunesse qui est promise, mais une activité de jeunesse. Les glissements sémantiques ne sont pas loin. Sur le site, l’invite à découvrir plus avant le concept est formulée comme suit : « Commencez-votre transformation ici ». De l’activité de la peau, nous passons à la transformation de soi. Et les produits ? Chez Dior il y a les « soins chef-d’œuvre » : le sérum qui REDENSIFIE, RAFFERMIT, LIFTE et la crème qui RENFORCE, RAJEUNIT, ILLUMINE. Chez Estée Lauder, il y a La Crème Transformation Éclat Ultimate Diamond qui « inverse les effets du temps pour une peau visiblement plus jeune en 14 jours seulement. » Ah. Il ne s’agit pas seulement de maintenir, mais d’inverser.

    Lire le méta discours de la cosmétique

    Ces propositions doivent se penser dans un contexte plus général, le concert des discours dont l’ensemble produit un méta discours qui, a son tour, éclaire chaque proposition individuelle. Le n° 4113 du magazine ELLE dont la couverture titrait « Belle Peau » me permet de prélever quelques variations autour du thème. Guerlain. Clarins. Lancôme. Filorga. Caudalie. Vichy. Nuxe. Avène. Eucerin. Garancia. Je les colle sur une table de montage. Ça produit une forme d’auto-poème de cosmétique contemporaine. Le voici.

    Après 50 ans, réactivez la santé de votre peau

    Ravivez la jeunesse et l’éclat de votre peau

    La réparation née de la science et de l’abeille

    La crème nuit réparation jeunesse corrige 4 signes visibles de la perte en collagène

    Un sérum aussi efficace qu’un protocole d’injections revitalisantes pour lisser, unifier, illuminer

    La puissance de 10 sérums en 1, la peau fonctionne comme si elle avait 10 ans de moins

    Rénove la peau à tous les niveaux

    98 %, Peau Raffermie dès 3 semaines

    Effet lifting dès 30 minutes

    Corrige 10 signes visibles de l’âge

    En 1 mois, resculpte le triangle de jeunesse

    Ce que l’IA nous en dit

    e ne veux pas interpréter seul. On pourrait me reprocher ma subjectivité. Alors je demande à Chat-GPT de m’éclairer sur la vision de la beauté que cela produit. Parce que je me dis que la lecture de l’algorithme procède d’une espèce de bon sens. Une pensée dont l’objectivité procède de la moyenne des temps présents.

    Il en résulte que ces discours diraient une vision de la beauté dont la jeunesse et l’éclat constituent tout l’idéal. Mais un idéal concret. Qui serait parfaitement mesurable. Dans un temps qui se raccourcit de semaines en minutes. Avec des effets précis sur le raffermissement de la peau ou l’effacement des rides. La beauté n’est ici pas affaire de création mais de restauration. Le geste de transformation cosmétique est un geste technique, adossé à la science, aux nouvelles technologies, qui répare, rénove, resculpte, régénère,… Et, possiblement, augmente.

    Malgré les précautions de discours, nous comprenons qu’en réalité, il s’agit bel et bien de parler de réversibilité. De promettre non seulement le retour à une modalité de la jeunesse de la peau, mais la jeunesse elle-même. La jeunesse en tant qu’elle est beauté et santé. Une santé normée. Une beauté mesurable. Age Reverse ! Bien.

    Revenir au propre de la jeunesse

    Cependant, y a-t-il vraiment de la beauté dans l’éternelle jeunesse ? N’est ce pas précisément la jeunesse comme espace-temps fini qui nous la rend plus vibrante ? N’est ce pas le goût du vivre fort, comme s’il n’y avait pas de lendemain, qui nous la rend si magnétique ? Et puis, peut-on penser la peau sans penser le corps et l’âme qui lui sont attachés. Qu’est-ce que la peau sans un corps et une âme ? Un masque ? Et le masque de la jeunesse, cette peau dont on sent qu’elle ne cesse d’être travaillée, redécoupée, retendue, re-plenie… quand bien même le rendu serait naturel… Ce masque donc, n’est-il pas déjà celui de la nostalgie, de l’échec annoncé, du tragique ? Ne lui préfère-t-on pas le visage certes marqué mais encore malicieux de l’âme encore gourmande, joueuse, curieuse, funambule… Regardez du côté des belles personnes. Une personne belle et une belle personne, ce n’est pas la même chose. Ne se pourrait-il pas que poursuivre la beauté en la jeunesse de la peau, soit une proposition construite sur des idées fausses. Et qui, quoi qu’on en dise, revient à refuser la beauté à celles et ceux qui… Quoi ? Ont passé 30, 40, 50 ans ? Ah oui, c’est vrai. Maintenant il y a l’âge chronologique et l’âge biologique. Il s’agit de distinguer entre le vieillissement intrinsèque et le vieillissement extrinsèque. Et puis, il ne s’agit pas seulement de beauté.

    La santé comme art

    Il s’agit aussi de santé de la peau. Et c’est ici que se joue la pirouette (éthique). Une peau jeune, ce n’est pas qu’une question de beauté. C’est une peau en pleine santé. Donc plus forte, plus belle, plus résiliente. En somme la beauté devient le nouvel hygiénisme. Et je ne parle pas des promesses visant au bien-être et à la réalisation de la meilleure version de nous-même. Or, cette histoire de santé est elle-même éminemment problématique. Car s’inscrivant dans la même logique normative, quantifiante, et réifiante que celle de la jeunesse de la peau. Allez voir du côté de Cangulhem. Jetez un œil au mouvement de la médecine intégrative. Songez à ce qu’il y a de bon dans ce qui ne se mesure pas. L’attention, le toucher de l’autre. La considération. La prise en charge de la vulnérabilité. Et oui, la santé n’est pas que science et pharmacologie. Elle est aussi art.

    La beauté comme surgissement du chaos

    L’art. Tiens. Nous y voilà. Parce qu’en matière de beauté, d’ordinaire c’est par là que l’on commence. Cela peut nous mettre sur une piste. Que nous dit l’art sur la beauté. En quoi consiste le geste artistique ? L’idée est puissamment formulée dans les cours de Deleuze sur la peinture. Je résume à grands traits et interprète à ma sauce.  Le geste consiste à produire du chaos, pour se défaire des clichés et faire surgir un lien nouveau, à soi ou au monde. Grégoire Bouillier dans son livre passionnant sur les nymphéas de Monet, dit que la beauté survient par effraction. Il parle de la beauté comme anomalie spatiotemporelle. C’est de ce portail que nait la possibilité d’un regard neuf. De l’étonnement. Du dévoilement. C’est à ce moment que l’art agit. S’il y a beauté en art, ce n’est pas histoire d’harmonie, de conformité à un idéal, ou de perfection de la représentation. Ça, c’est un mythe. La beauté en art tient du séisme. De la révélation. Même si c’est furtif. Et ça l’est toujours. Furtif. C’est peut-être même son mode opératoire. L’intangible. L’ineffable. L’éphémère. L’insaisissable. Tiens ! Comme la jeunesse. Comme c’est étrange. Alors, évidemment, ça, l’industrie, ça n’aime pas trop. Je comprends. Pourtant, elle sait aussi aller sur ce terrain. En produisant des couleurs. Des parfums. Des textures. Et en laissant à chacun la liberté de jouer avec, de produire de la beauté.

    Naissance d’une alternative

    À cet endroit, on voit se dessiner l’alternative (je ne dirais pas contre-proposition. Chacun sa route). La jeunesse dont l’intensité a à voir avec l’éphémère. La beauté dont la puissance tient au chaos et à la production d’un regard neuf. La santé comme science mais aussi comme art. Impossible de tenir une norme. Pas question de restaurer une harmonie. Nul projet d’optimum. Juste un geste créateur.

    Comment y parvenir ? Et bien voilà. Je propose un travail de recherche, un travail de création, autour du soin, qui consisterait non pas à viser la jeunesse, mais à créer à partir de la jeunesse. C’est-à-dire à redonner de la liberté et un brin de folie dans la pensée du soin et les programmes de recherche. Inventer des rituels dont le propos serait avant tout d’être bon. Oh mon Dieu. Non. Pas dans le sens de Clean et Sain. Quel ennui ! Non. Bon comme délicieux. Bon comme gourmand. J’y reviens. Bon comme doux. Comme puissant. Peut-être comme magique aussi, pourquoi pas. La santé a bien assez de la pharmacie. La cosmétique doit trouver ce qui lui est propre. Ce qui lui est bon. Pourquoi avoir besoin de se faire passer pour aussi…, aussi quoi ? Que la chirurgie plastique ? Pourquoi aller trouver sa légitimité chez un PhD du MIT. Nous cherchons du sens ? Commençons donc par nous aligner avec les concepts que l’on travaille. La beauté. La jeunesse. Alors quelle est notre proposition ? C’est tout simple. Réunir celles et ceux chez qui ces idées suscitent de la curiosité. Et se mettre à écrire. Comme en ateliers. Et voir ce que ça produit d’innover en beauté. Ça, ça va être le propos des ateliers d’écriture cosmétique que nous allons lancer tout prochainement. Et puis creuser les questions. Et c’est le sujet de la conférence Peau et Sensibilité que nous organisons avec Cosmetin Lyon et dont la deuxième édition devrait avoir lieu à la mi 2025. Le thème ? Qu’est-ce que la beauté ? Nous vous tiendrons informés. Le soin de la peau n’a jamais eu autant besoin de liberté et de poëitique. Engagez-vous !