Oser formuler
une vision de marque ?
Parvenue en 2025, près de 3,8 milliards d’années après l’apparition de la vie sur terre, peut-être que ce qui sidère l’humanité, ou tout au moins une partie de l’humanité, c’est la terrible brutalité de la performance, de Trump à l’IA, prise pour seule et unique raison. Une raison qui, en son point extrême, parait nous déposséder de l’humanité même qu’elle était sensée construire. Vous savez, l’Homme, cet animal raisonnable. Depuis déjà la fameuse crise sanitaire, nous (re)découvrons que l’humanité est impensable sans une attention au sensible, à l’ineffable, sans une vraie une prise en charge du vulnérable et de l’altérité. Oh mais c’est très loin de la cosmétique ça ? Et bien, pas tant que ça. Car c’est peut-être précisément à l’endroit du soin et de la peau que se joue la possibilité de renouer avec notre plus belle humanité. Mais cela suppose de revisiter nos discours, c’est à dire notre pensée de marque, de débusquer les pièges du raisonnable et du « scientifique » au coeur de nos fonctionnements. Notre intuition est la suivante : après le naturel et les nouvelles (bio)technologies, la prochaine révolution sera de l’ordre de l’éthique ! Non, non, pas celle du développement durable justement…
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais, depuis un moment déjà, la rubrique « notre vision » a largement disparu des barres de navigation. En même temps, un nouvel incontournable est apparu : « nos engagements ». Il y a les produits, les nouveautés, les offres, les best sellers… Mais plus grand-chose sur la marque elle-même. Parfois quelque chose sur l’histoire ou sur l’expertise soin, la science et la beauté du futur. Tout se passe comme si la puissance d’innovation et le développement durable suffisaient à constituer une raison d’être dans une sorte de pragmatisme radical. Mais l’une et l’autre permettent-ils vraiment de faire soin à l’endroit d’une peau devenue plus vulnérable, au propre comme au figuré, à l’endroit d’une conscience qui, passant du réductionnisme à l’holistique, appelle à faire sens différemment.
Innover ne fait peut-être pas de vous une marque visionnaire
La proposition de valeur des marques de soins est aujourd’hui très largement focalisée par l’obsession de la performance comme produit de l’innovation scientifique et technologique. Le discours est triomphant et enthousiaste. « Future is Science » nous dit l’IFSCC 2025. L’Oréal nous invite à « plonger dans ce monde captivant où la beauté rencontre les sciences et la technologie ». « Dior Science explore la beauté de demain » avec pour projet d’inverser le cours du temps biologique. Les discours ont assurément tout l’élan d’une démarche visionnaire, mais en ont-il la qualité ?
Il y a quelques années déjà, analysant les discours du projet Horizon 2020 de l’Union Européenne, le philosophe et scientifique Étienne Klein nous interpellait sur l’archi-présence du mot innovation tout en s’étonnant de la disparition d’une autre notion qui avait jusque là prévalu, celle de progrès. Innovation. Il va regarder du côté de la genèse du mot et trouve une émergence très éclairante chez le philosophe Francis Bacon. Pour ce dernier, le temps est pensé comme foncièrement corrupteur. L’innovation serait donc une réponse adaptative permettant de contrer les effets du temps. Le système s’adapte, se renouvelle, sans changer de nature. Prenant le contre-pied de cette position, les Lumières, un siècle plus tard, voient au contraire dans le temps la possibilité d’un monde meilleur. Cela suppose de pouvoir imaginer ce monde – produire une vision – de mettre en crise le monde comme il est pour lui substituer un monde d’après. Une révolution. En regard, suggère Étienne Klein, la raison profonde de l’innovation, apparaît comme un refus de la mort : on innove pour ne pas mourir, pour ne pas devenir obsolète. Il faut innover pour que rien ne change ! L’effacement du concept de progrès au profit de celui d’innovation dirait donc une forme de renoncement à imaginer le monde, à formuler une vision, soit à faire sens.
Les marques désormais « agit » par une innovation autonome ?
Alors évidemment, si nous relisons un certain nombre de phénomènes (la disparition du concept de vision, l’imaginaire totalisant et ultra-technologique proposé par l’industrie, la beauté tendue vers l’idéal ou un optimum de la santé, l’hyper focalisation de l’innovation sur la longévité et la jeunesse éternelle,…) à l’aune de l’innovation comme stratégie d’évolution mue par la crainte de disparaître, nous sentons poindre la dimension possiblement mortifère des narrations de la beauté. Cela pourrait expliquer pourquoi, quelle que soit l’innovation, son récit ne change pas, arguant d’une recherche d’excellence, de nouvelles étapes marquées par des avancées scientifiques révolutionnaires, fruits de plusieurs années de recherche et d’innovation. Chat GPT m’en propose un même : « Les chercheurs ont identifié des peptides biomimétiques capables de stimuler naturellement la production de collagène et d’élastine, réactivant ainsi les mécanismes naturels de régénération cellulaire ». Se dessine la promesse d’une perpétuelle reprogrammation cellulaire pour un renouvellement perpétuel. Ici, nous ne sommes pas loin de la définition du cancer, pour reprendre l’idée de l’hypothèse K formulée par un autre scientifique et philosophe, Aurélien Barrau. La technologie prise dans sa propre mythologie nous embarquant dans un mouvement autonome. La quête de performance n’a nul besoin de vision. Elle s’auto-induit. Au fond, ce que l’on craint de l’IA, l’accélération du clonage, était déjà en place. Et, dans notre industrie, cela marche d’autant mieux que la conception néoclassique de la beauté s’accorde très bien avec l’obsession du nombre, de la symétrie, de l’équilibre et de la performance. Voilà bien le piège dont il parait quasiment impossible de sortir. A moins d’interroger les concepts mis en jeu, à commencer par celui de science.
Renouer avec la puissance créatrice de la science
L’un des paradoxes les plus saisissants de cette affaire réside dans le fait qu’en réalité, le travail de la science tant mobilisée par les marques n’est pas tant d’innover, que de dévoiler, de créer. Quand les scientifiques proposent les concepts de la mécanique quantique, ils ne conservent pas le monde tel qu’il était connu et stabilisé jusqu’alors, ils le bouleversent et proposent une vision radicalement neuve du réel. Lorsque la recherche trouve, elle produit des émergences. Au fond, tout comme l’art. La science est en ce sens poïétique. L’expérience de l’Eureka est un moment d’apparition. Le point de départ d’une nouvelle vision. L’art et la science ont la recherche et l’imprévisible en partage. L’un et l’autre ne visent pas la préservation de l’existant mais sa constante révolution, toujours en quête d’une vision neuve affinant et renouvelant notre être au monde. Mais cela ne marche qu’à condition que l’interprétation, l’exégèse devrais-je dire, des résultats de la recherche osent l’ouverture, ne se précipitent pas sur l’application et la performance. Au contraire de quoi, les récits triomphants de l’innovation confisquent tout simplement la science et réduisent sa puissance créatrice. Ainsi, les mêmes mots de beauté et de science désignent en réalité deux positions opposées. D’un côté la beauté néoclassique et l’innovation technologique s’accordant dans une quête d’idéal et, de l’autre, la beauté comme expérience de l’apparition, de l’émergence et une conception indocile de la science, s’accordant dans la production de visions radicalement neuves.
Ici, deux propositions. 1) redonner du champ libre à la recherche scientifique (quelle audace!) 2) introduire l’espace-temps de décanter les résultats de la recherche, d’une écriture poïetique, c’est à dire propre à faire émerger de nouvelles visions (quelle étrangeté!). Donc réintroduire de l’audace et de l’étrange dans la pensée des marques, c’est à dire de quelque chose de l’ordre de l’art !
Penser la beauté comme expérience de la révolution
Devant le besoin de sens, c’est bel et bien la nécessité d’une vision neuve qui s’impose. Faire autrement. Oser le parti pris. Pour cela nous pensons que la beauté, en tant qu’elle est produite par la création artistique, peut consister en un concept opératoire d’une remarquable efficacité. Non pas dans la quête béate des formes d’hier ou la célébration de leur universel, mais en tant que sensibilité à l’apparition de formes neuves. Sentez vous ce que cette perspective peut avoir de libérateur ? De quelle façon elle peut re-situer l’humain dans un projet créateur, en mobilisant ses facultés les plus visionnaires et disruptives, reconnectant l’entendement à la sensibilité d’un corps vivant ? Ces concepts seront au coeur de la deuxième édition de Peau & Sensibilités, le 19 juin prochain à Lyon.
Ici, la proposition est la suivante : penser la marque de beauté davantage comme artiste ouvrant des espaces de recherche et de création, que comme agent d’innovation. Son enjeu ne serait ni de sauver le monde, ni d’inverser le cours du temps, mais de grandir la diversité, d’apporter des visions fraîches, de bouger les lignes des rapports à soi et aux autres. Pensée folle ? Rappelez vous le séisme créé par le naturel au début des années 2000. L’assentiment créé par la nouveauté de ton….
La démarche vous intéresse ?
Re-Source vous accompagne dans la mise en place d’actions révolutionnaires.
- Vous doter d’un appareil critique : interroger les mots et les concepts de votre discours pour nourrir vos projets à partir de racines vivantes. Nous organisons des ateliers philosophiques (la beauté, le bien-être, la longévité…) et des séminaires sur mesure pour interpeller et vivifier la pensée de vos équipes.
- Formuler vos visions : celle de la marque, mais aussi celle de votre plateforme scientifique. Nous remettons à plat l’histoire de la marque et ses expertises pour en produire de nouvelles lectures et proposer de nouveaux récits propres à inspirer la création produit, la valorisation scientifique ou la communication. La démarche articule la tenue d’ateliers et un processus d’écriture permettant d’embarquer vos équipes.
- Fomenter des actions de guérillas : chaque nouveau lancement est coup d’éclat qui ressource la puissance créative de la marque. En travaillant au plus proche des équipes scientifiques nous introduisons le travail d’écriture au coeur de la R&D pour déployer le potentiel narratif de chaque nouveau projet : introduction d’un nouvel actif ou d’un nouvelle technologie, valorisation d’un ingrédient fonctionnel, élaboration d’un nouveau produit.